societe solidaire

Faut-il réformer la Constitution ?

La différence entre l’homme politique et l’homme d’État est la suivante :

le premier pense à la prochaine élection, le second à la prochaine génération".

James Freeman Clarke (1810-1888)

Le 31 mars 2011, le dernier médiateur de la République, Jean Paul Delovoye remet son rapport au Président de la République avec un constat : « Nos sociétés sont régies par trois grands sentiments : les peurs, les espérances, les humiliations. Chaque camp pouvant gagner alternativement dans l’euphorie de la victoire d’un jour pour une France qui descendra de division à chaque élection et progressera pas à pas vers les populismes et les extrémismes.[1] « La France déprime».

Pas réjouissant comme constatation. Les Français se sentent abandonnés. Les abstentions aux dernières cantonales ont montré que les Français se détournaient non seulement de la politique, mais aussi de ses représentants aux institutions. Les commentaires sur les réseaux sociaux sont négatifs vis-à-vis aussi bien de la majorité que de la gauche suivant les sujets évoqués. On sent un profond rejet pour toute proposition qui serait exprimée parce que les Français ne croient plus en leur efficacité, ils n’ont plus confiance. Les politiques eux-mêmes semblent atteint par la contagion, puisque en début d’année on entendait sur toutes les chaînes cette phrase dite par nos politiques de gauche ou de droite : « la question que l’on se pose est quelle est la bonne question ? » Si nos représentants ne savent pas quelle est la bonne question qu’ils doivent se poser, le mal est plus profond qu’il ne parait.

Mais quel est ce mal ? Quelle est cette incapacité à se gouverner ?

Les reproches que l’on fait à notre Président actuel expliquent en partie ce mal par une incapacité à savoir ce qu’ils désirent. Les Français souhaitent un leader qui les entraîne mais lui reproche d’être trop omniprésent. Les Français souhaitent qu’il ait en main les rênes du gouvernement, mais lui reprochent de ne pas laisser cette initiative au Premier Ministre. Les Français souhaitent le voir aux inaugurations de chrysanthèmes mais lui reprochent les dépenses de l’Elysée, etc.

En 1976, Alain Peyrefitte décrivait dans son livre « Le mal français » cet état d’esprit : « cinquante millions de Français se sont fait cinquante millions d’idées de la France ; et des idées bien arrêtées. Il est aussi difficile de leur parler d’elle, que de sa femme à un mari jaloux. Et un homme politique est moins recevable que quiconque : il a pris parti dans des luttes publiques »[2].

Ce « mal français » est décrit par le Général de Gaulle en 1966 : « Les Français sont atteints d’un mal profond. Ils ne veulent pas comprendre que l’époque exige d’eux un effort gigantesque d’adaptation .... Ils ne peuvent se passer de l’Etat, et pourtant ils le détestent, sauf dans les périls ... Ils ne se conduisent pas en adultes. ». Il avait aussi ajouter : « Quand les Français croient en la grandeur de la France, ils font de grandes choses ; quand ils se sentent abandonnés ils font de petites choses ».

Pourrai-t-on dire que ce mal est un manque de confiance des citoyens envers leurs politiques, des politiques envers les citoyens et des citoyens entre eux.

Si je suis d’accord avec ses analyses, je penserai aussi que les Français ne savent plus ce qu’ils veulent parce qu’ils sont submergés de lois, de réglementations, de normes, de propositions, de dissensions entre partis, entre politiques du même parti, pour n’avoir en fin de compte qu’une plus grande fracture sociale, ethnique, et financière entre eux.

Pour remédier à ce mal, certains politiciens rêvent d’une VIe République, encore faut-il prouver cette initiative. Quelle est la grande réforme qui justifierait un tel changement ? Quels critères justifieraient, non un remaniement, mais une évolution radicale ? Le régime est-il en déliquescence comme à la fin de la IVe République ? Epoque où le Général de Gaulle a, par la voie du référendum, fait voter le changement de mode d’élection du président, lui conférant, par le suffrage universel direct, une autorité et des pouvoirs dont ses prédécesseurs étaient exclus. Une telle réforme méritait un référendum et une nouvelle république !

Ou bien suggère-t-on, sans l’avouer ouvertement, vouloir toucher au Sénat qui ne peut se réformer sans son accord. Les candidats qui souhaitent une VIe République, ne précisent pas ce qu’ils souhaitent modifier.

Ou bien est-ce les citoyens qui n’en peuvent plus de vivre dans une société qui ne leur apporte pas ce que le marketing les pousse à avoir ? Qui courent après des rêves que les lobbyings leurs suggèrent ? Qui ne se sentent pas en sécurité moralement et physiquement ? Qui ont peur pour l’avenir de leurs enfants, parce qu’ils ont mis un siècle à obtenir leurs acquis sociaux et qu’ils les voient se disperser en quelques mois ?

Lorsque Nicolas Sarkozy a parlé de politique de la civilisation, de changement de vie, de réforme de l’éducation, il aurait pu, continuant sur sa lancée, justifier un changement en profondeur de la constitution, par conséquence de la république. En 2008, la montagne a accouchée d’une souris en ne votant que quelques remaniements, sans toutefois toucher les fondements de notre Constitution. Il n’a pas eu tort de se contenter d’en rester à la cinquième. Des ajouts ou des modifications mineures à celle-ci, déjà bien longue, ne justifiaient pas une nouvelle république qui puisse suggérer aux yeux des Français un manque de crédibilité et de stabilité du gouvernement.

Afin de mettre en place de véritables réformes, qui soit adéquates à la situation et soutenues par le peuple français, faut-il commencer par réformer les structures mêmes des institutions françaises, permettant à l’Assemblée Nationale de gouverner réellement et aux syndicats de participer à l’élaboration des lois et des décisions prises, ou bien commencer par des réformes sans permettre à ces derniers d’y participer véritablement ? Parce qu’il ne suffit pas de mettre dans un programme de belles idées sur les négociations avec les partenaires sociaux et ne pas avoir la possibilité d’avoir en face de soi, des partenaires forts et légitimes. Faire passer en premier des réformes importantes avant que ces dits partenaires n’aient les vrais moyens pour faire valoir leurs opinions et leurs idées est, ce qu’il me semble, un acte antidémocratique. Faut-il pour ces différentes raisons redéfinir certains points de la Constitution ? Où bien est-elle amplement suffisante pour nous permettre d’avancer efficacement ?

[1] Rapport annuel 2010 du Médiateur de la République - page 4

[2] « Le mal français » – Alain Peyrefitte – Ed. Plon page XI